ZV01 : notes de lecture

Jardin divers

Au fil des publications de ce bulletin nous essayerons – sur un mode léger – de rendre compte de quelques ouvrages extraits de notre bibliothèque personnelle, sur un thème à chaque fois différent (La Marche, Le Paysage, La Bicyclette, éloge de la lenteur…) avec l’espoir que ces modestes notules donneront au lecteur l’envie « d’aller y lire plus loin ». Google est en attente de vos questions, et les libraires – indépendants – sont prêts à assouvir vos désirs de lecture.

– Aux éditions Klincksieck, dans l’élégante collection « De Natura Rerum », consacrée aux règnes de la nature, nous retiendrons le Journal de mon jardin de Vita Sackville-West. Son « jardin », c’est celui du château de Sissinghurst, dans le Kent, où domine le blanc. « Si l’on veut faire de l’effet, il faut planter le cerisier d’ornement nommé Pandora. Quelle merveille ! Une bouffée de nuage, une aigrette de tulle… Prunus pandora ressemble à une débutante dans sa première robe de bal », nous dit-elle. Si un jour vous franchissez le Channel, précipitez-vous à Sissinghurst.

– De Sissinghurst, vous pourrez vous rendre à Dungeness (27 miles/45 min.). À proximité de la centrale nucléaire, sur une plage de galets battue par les vents,entourant une maison depêcheur noire aux fenêtres jaunes – Prospect Cottage –on peut voir un petit jardin assez singulier. C’est celui de l’artiste plasticien et cinéaste Derek Jarman (1942-1994 – on lui doit, entre autres, Wittgenstein et Caravaggio, avec la flamboyante Tilda Swinton). Condamné par cette maladie qui fit des ravages dans les années 1980, Jarman tient la chronique au jour le jour de l’élaboration de ce jardin planté là où rien ne pousse (Un dernier jardin,Thames & Hudson, 2003). « […] Il y a tant de “mauvaises herbes” dont les floraisons sont spectaculaires : le compagnon blanc, la mauve, la bugrane et la scabieuse sont superbes. Introduire ces fleurs du cru, c’est instiller un peu de vie sauvage au cœur de mon paradis… »

– « C’était un bel été, comme c’est l’habitude dans l’Ouest canadien, au bord du lac Okanagan. J’entrepris de photographier mon père dans son quotidien. Nous étions en 1997, il avait 92 ans. » C’est ainsi que commence le beau récit photographique qu’Olivier Le Brun a consacré à son père : Le Vieil Homme et son potager (Esperluète, 2018). Septante et une photographies en noir et blanc : beauté des gestes, évidence des images, un tendre hommage d’un fils à son père.

– Plus proche de nous – géographiquement –, le photographe Herman van den Boom s’est intéressé aux jardins de la « Nouvelle Arcadie », ceux de notre région. Il habite à Heks, dans une ferme, la Hennehoeve, où il anime une galerie de photographies et tient des chambres d’hôte. Il n’existe pas de livre sur ces jardins un peu particuliers mais familiers sur lesquels Herman van den Boom porte un regard à la fois critique et ironique – mais nous ne doutons pas qu’un jour un éditeur s’y intéressera. On peut, en l’attendant, consulter son site : www.hermanvandenboom.com/

– Parler des jardins sans évoquer Gilles Clément,un des grands jardiniers (c’est ainsi qu’il se définit) de notre époque, serait inconcevable. On lui doit quelques théories et quelques jardins incontournables, singuliers eux aussi (le jardin du musée des Arts premiers à Paris, le jardin de l’Ecole normale supérieure de Lyon, entre autres). Du côté théorique, il est à l’origine des concepts de « Jardin en mouvement » (faire le plus possible AVEC, le moins possible CONTRE),de « Jardin planétaire » (envisager de façon conjointe et enchevêtrée : la diversité des êtres sur la planète et le rôle gestionnaire de l’homme face à cette diversité) et de « Tiers Paysage » (la somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature). Parmi ses réalisations, nous retiendrons le parc Matisse et son île Derborence, face à la gare de Lille Europe. Cette « île » est un vrai joyau conceptuel et artistique. C’est un espace de 2 500 m2, situé en hauteur, posé sur un socle de béton. Rien n’y a été planté.Tout y est arrivé « naturellement » dans un grand brassage des espèces végétales. Ce lieu – inaccessible – est devenu, au fil des ans, le reflet de ce qu’a pu être la grande forêt primitive européenne. Il fait aujourd’hui l’objet d’études scientifiques ponctuelles.

Parmi les multiples publications de Gilles Clément on consultera avec bonheur : Eloge des vagabondes (Laffont, 2014), Herbes, ou ces plantes qu’on dit mauvaises (J.-P. Ruiz, 2014) et Où en est l’herbe ? Réflexions sur le jardin planétaire (Actes Sud, 2006), un recueil de textes et articles divers questionnant de façon poétique et documentée notre rapport à la Terre. « Une lente dérive des attributions du jardinier au cours des dernières décennies le fait passer d’ordonnateur savant à technicien de surface. L’avènement des “espaces verts” comme substitut au jardin achève de réduire la nature à l’état de bienséance, simple aménité urbaine, décor lisse que l’on peut tondre, tailler, souffler, aspirer, machiner à sa guise pour en faire l’objet stérile que l’on sait : un faire-valoir de la ville. »

– Comment ne pas évoquer ici (et maintenant) l’incomparable Vialatte (le Grand Alexandre, le traducteur de Kafka et de Nietszche, le romancier des Fruits du Congo), ses Chroniques hebdomadaires rédigées pour le journal La Montagne de Clermont-Ferrand et son Almanach des quatre saisons où l’on trouve des conseils de jardinage ?La saveur de son langage (jubilatoire) et la drôlerie de ses propos en font un des meilleurs chroniqueurs du siècle dernier (« L’homme n’est que poussière. C’est dire l’importance du plumeau »est une sentence… irréfutable). Le seul énoncé des titres de ses recueils de chroniques est un poème en soi : Eloge du homard et autres insectes utiles, Profitons de l’ornythorinque, L’éléphant est irréfutable, Chronique des immenses possibilités, Pas de H pour Natalie…

« Les fruits de la terre datent de la plus haute Antiquité. Ils se composent d’artichauts, de courgettes et de toute sorte de salsifis. […] Rien n’est plus beau que les fruits de la terre. Il y a des carottes à cinq doigts qui ressemblent à la main du diable, des melons “brodés”, des “grosses blondes paresseuses” et des salsifis gantés de noir si funèbres et froids qu’on les appelle “doigts de mort”… » (« Du bon usage des fruits du sol. Almanach de mai », Résumons-nous, Laffont-Bouquins, 2017).

G. J.

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